Nous avions esquissé dans une précédente chronique un certain lien comportemental entre olfaction et génitalité1. Ce lien transparaît également au travers d’une pathologie connue sous le nom de dysplasie olfacto-génitale ou syndrome de Kallmann-De Morsier, pathologie associant carence de synthèse de l’hormone gonadolibérine (GnRH) par l’hypothalamus et troubles olfactifs (anosmie ou hyposmie) par agénésie (ou hypoplasie) des bulbes olfactifs 2.
Dès 1856, le médecin anatomopathologiste espagnol Aureliano Maestre de San Juan avait remarqué, lors de l’autopsie d’un homme de 40 ans, l’association entre aplasie des bulbes olfactifs, micropénis, absence de pilosité pubienne et testicules de type infantile3. Quelques années plus tard, un cas sensiblement identique fut publié par le pathologiste autrichien Richard Ladislaus Heschl.
Mais il faudra encore attendre quelques décennies pour qu’un possible lien — sans avoir à ce stade la moindre idée de sa nature — soit évoqué entre ces diverses anomalies. En 1914, l’anatomiste et paléoanthropologue allemand Franz Weidenreich pratiqua l’autopsie de 10 personnes connues pour avoir été anosmiques de leur vivant : il put constater un hypogonadisme chez 3 d’entre eux et conclut que cette corrélation ne devait probablement rien au hasard4. Malheureusement, le niveau des connaissances scientifiques du début du XXe siècle ne permettait pas d’expliquer cette corrélation.
C’est le psychiatre et généticien américain d’origine allemande Franz Josef Kallmann et ses collaborateurs (W.A. Schönfeld et S.E. Barrera) qui évoquèrent pour la première fois en 1944 l’hypothèse génétique de ce syndrome en étudiant trois familles affectées5. Dix années plus tard, le neurologue et psychiatre suisse Georges De Morsier insistait sur les anomalies de développement des voies olfactives chez de nombreux patients atteints d’hypogonadisme6. D’où le terme de syndrome de Kallmann-De Morsier.
Alors où se situe donc le lien entre hypogonadisme et anosmie?
L’anosmine-1, glycoprotéine codée par le gène KAL1, est impliquée dans deux fonctions. D’une part elle contribue à la formation du système olfactif. D’autre part, elle intervient dans le processus de migration de certains neurones depuis l’épithélium olfactif jusqu’à l’hypothalamus; or, ces neurones sont ceux qui synthétiseront l’hormone gonadolibérine. Une mutation de KAL1 (ou d’autres gènes comme GPR54, KISS1 découverts depuis) génère donc une absence de bulbes olfactifs, ce qui entrave la migration des cellules à GnRH.
Voilà donc l’origine de cet étrange syndrome de Kallmann-De Morsier.
Références
1. Olry R. (2022) Odeurs inavouables? Odomag 22 : 27-28.
2. Melmed S., Jameson J.L. (2022) Hypopituitarism. In: Loscalzo J., Kasper D.L., Longo D.L., Fauci A.S., Hauser S.L., Jameson J.L. (Eds) Principles of Internal Medicine. New York, McGraw Hill, 21st edition, pp. 2896-2897.
3. Maestre de San Juan A. (1856) Teratologia : falta total de los nervios olfactorios con anosmia en un individuo en quien existia una atrofia congenita de los testiculos y membro viril. El Siglo Medico, Madrid : 211.
4. Weidenreich F. (1914) Über partiellen Riechlappendefect und Eunuchoidismus beim Menschen. Zeitschrift für Morphologieund Anthropologie (Stuttgart) 18: 157.
5. Kallmann F.J., Schönfeld W.A., Barrera S.E. (1944) The genetic aspect of primary eunuchoidism. American Journal of Mental Dificiency 48: 203-236.
6. De Morsier G. (1954) Études sur les dysraphies crânio-encéphaliques 1. Agénésie des lobes olfactifs (télencéphaloschizis latéral) et des commissures calleuses et antérieures (télencéphaloschizis médian). La dysplasie olfacto-génitale. Schweizer Archiv für Neurologie und Psychiatrie, Zurich : 74 : 309-361.
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