La cacosmie et le Diable

Dans une précédente chronique, nous avions discuté le sens, au moins métaphorique, de l’expression « être en odeur de sainteté » (1), phénomène qui se manifesterait par une odeur suave émise par le corps d’un individu ayant rempli sa vie de compassion. Mais le contraire existe-t-il dans les bas-fonds de la démonologie, une forme de puanteur émanant du corps d’un adepte, volontaire ou non, du M

alin? Le regretté Roland Villeneuve (1922-2003) répond à cette question par l’affirmative car l’odeur des sorcières « constitue l’exacte contrepartie de l’odeur de sainteté. » (2) D’autres s’étaient prononcés bien avant. Ainsi le docteur Antoine Imbert-Gourbeyre (1818-1912) qui écrivait à la fin du XIXe siècle que « l’odeur du péché n’est qu’un corollaire de l’odeur diabolique. » (3) De même le célèbre occultiste Jacques Collin de Plancy (1794-1881) rapportait qu’un religieux de Prague « distinguait, à l’odorat, les femmes impudiques. » (4) Sans surprise, le Mal et ses suppôts sont donc supposés sentir mauvais, ce qui nous amène au concept de cacosmie.

Bien qu’il puisse s’y glisser quelques nuances sémantiques sans pertinence dans notre chronique d’aujourd’hui, on peut définir la cacosmie comme la perception d’odeurs interprétées comme désagréables (5). Habituellement liée à des troubles de nature psychique, la cacosmie est, semble-t-il, de nature hallucinatoire puisque se manifestant en l’absence du stimulus qui validerait l’interprétation. Il s’agirait donc d’une hallucination olfactive (épilepsie temporale?), d’où les synonymes parfois rencontrés de phantosmie ou fantosmie. Rendons-nous donc maintenant vers la petite ville bavaroise de Klingenberg-am-Main, à la fin des années 1960, où un cas pour le moins étrange de cacosmie est sur le point de se produire.

Une jeune étudiante en sciences de l’éducation, Anneliese Michel, souffre depuis le mois de septembre 1968 d’une pathologie qui sera étiquetée épilepsie par les hommes en blanc, possession diabolique par les hommes en noir. Débat que, bien entendu, nous ne nous aventurerons pas à trancher car là n’est pas notre propos. Mais parmi les nombreux et impressionnants symptômes développés par la jeune fille au fil des années figure l’émission d’odeurs nauséabondes dont témoigneront plusieurs personnes. Sa tante Thea Hein qui, voyageant en voiture avec Anneliese, témoignera que celle-ci lui annonce soudainement : « Regarde, Thea, dans un moment il va y avoir une forte odeur de quelque chose qui brûle. Et cela se produisit à l’instant même. Je stoppai la voiture car la puanteur était insupportable. » (6) De retour d’un pèlerinage à San Damiano où la vierge aurait accompli quelques miracles, des passagers de l’autocar dans lequel se trouve Anneliese se plaindront d’avoir été incommodés par des odeurs nauséabondes dont ils ne trouvaient pas la source…

Cacosmie évidente, mais inexpliquée. Anneliese décèdera le 1er juillet 1976, emportant tous ses secrets dans la tombe.

Références

(1)    Olry R. (2019) En odeur de sainteté : l’état de sainteté aurait-il donc une odeur? Odomag 13 : 28-29.

(2)   Villeneuve R. (1989) Dictionnaire du Diable. Paris, Pierre Bordas & Fils, p. 271.

(3)   Imbert-Gourbeyre A. (1894) La stigmatisation. Paris, J. Vic et Amat, vol. 2, p. 158.

(4)   Collin de Plancy J. (1973) Dictionnaire infernal. Verviers, Gérard et Cie, p. 329.

(5)   Djoumoi A. (2013) Traumatismes crâniens et troubles de l’odorat : IRM et potentiels évoqués olfactifs. Paris, Thèse de doctorat, Université Paris-Sud, p. 13.

(6)   Goodman F.D. (1981) The exorcism of Anneliese Michel. Eugen, OR, Resource Publications, p. 159.

(7)   Laurentin R. (1988) Multiplication des apparitions de la Vierge aujourd’hui. Paris, Fayard, p. 146.