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  • Writer's pictureRégis Olry

Quand votre nez vous met des bâtons dans les roues

Anecdotes historiques sur l'olfaction



Si l’on en croit la Pensée numéro 162 du célèbre Blaise Pascal (1623-1662), le nez de la reine Cléopâtre fut déterminant pour l’avenir de l’humanité car « s’il eût été plus court, toute la face de la Terre aurait changé » (1). Nez glorieux donc, ce qui ne fut malheureusement pas le cas pour d’autres car la forme d’un nez peut être lourde de conséquences surprenantes.

Le journaliste et agrégé de philosophie Frédéric Pagès faisait récemment observer que le nez « traverse une période difficile. Les visages modernes ne le supportent plus ni long ni gros » (2). Observation que l’on peut légitimement transposer à des temps plus anciens. Rappelons-nous en effet ce truculent personnage de théâtre inspiré par l’écrivain Savinien de Cyrano de Bergerac (1619-1655). Hôtel de Bourgogne, en l’an 1640 : on s’apprête à jouer La Clorise, pièce de Balthazar Baro, lorsque Cyrano se met à fustiger vertement l’acteur Zacharie Jacob, le fameux Montfleury. Le vicomte de Valvert s’en prend alors à Cyrano: « Vous… vous avez un nez… heu… un nez… très grand » (3). La suite est connue.


Peut-être un peu moins, cette réflexion d’un célébrissime écrivain qui avouait piteusement: « C’est mon grand nez qui m’a rendu timide. De bonne heure, mon entourage s’en est moqué » (4). Effectivement, le-dit écrivain avait le « nez camus et bosselé, [un] nez de boxeur » (5). S’il n’avait surmonté ce complexe, nous n’aurions jamais pu lire Le Rouge et le Noir car l’écrivain en question s’appelait Henri Beyle, universellement connu sous le nom de Stendhal (1783-1842).


Un autre exemple, tiré cette fois du monde des sciences. Plymouth, 27 décembre 1831 : un jeune naturaliste de 22 ans embarque pour un voyage qui va durer presque 5 ans (6). Ses observations lui permettront, en 1859, de publier un des piliers de la littérature scientifique, ainsi que rêve de tout bibliophile (7) : le célébrissime On the Origin of Species. Mais ce chef-d’œuvre failli bien ne jamais voir le jour, et ce à cause d’un nez… celui de l’auteur, Charles Darwin (1809-1882). Et voici pourquoi. Le capitaine du HMS Beagle, un dénommé Robert Fitz-Roy (1805-1865), s’était entiché de lavatérisme, une théorie plus ou moins fumeuse développée part le théologien suisse Johann Kaspar Lavater (1741-1801) qui prétendait corréler caractères et aptitudes à la morphologie de votre visage. Or, le capitaine trouvait que le nez de Darwin trahissait un manque de volontarisme (8) et que le candidat était donc inapte à vivre « une telle aventure » (9). L’avenir lui prouva qu’il s’était trompé.


Le nez de Cléopâtre ne fut décidément pas seul à être déterminant pour l’avenir de l’humanité.


(1) Pascal B. (1949) Pensées. Paris, Nelson Éditeurs, Section II, p. 119. (2) Pagès F. (1983) Au vrai chic anatomique. Paris, Éditions du Seuil, p. 145. (3) Rostand E. (2000) Cyrano de Bergerac. Paris, L’Aventurine, Acte premier, p. 43. (4) Cité par Boudet J. (1998) Les Mots de l’Histoire. Paris, Larousse, p. 1166. (5) Blin G. (2001) Stendhal et les problèmes de la personnalité. Paris, José Corti, p. 174. (6) Selsam M.E. (1959) The Voyage of the Beagle by Charles Darwin. New York and Evanston, Harper & Row, Publishers. (7) L’édition originale de ce livre peut dépasser 150,000 US$ sur le marché du livre d’occasion. Voir Bauman Rare Books (December 2006 Catalogue), item 2, page 3. (8) Froment A. (2013) Anatomie impertinente. Le corps humain et l’évolution. Paris, Odile Jacob, p. 144. (9) Bringuier G. (2012) Charles Darwin. Voyageur de la Raison. Toulouse, Éditions Privat, p. 24.

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