Les cornets de la cavité nasale, petites lamelles osseuses enroulées en forme de coquillage, sont classiquement au nombre de trois de chaque côté : un os indépendant, le cornet inférieur (premier cornet ou cornet maxillaire), et deux cornets moyen et supérieur (deuxième et troisième cornets ou cornets ethmoïdaux), portions de l’os ethmoïde. Parfois peut s’observer un cornet supplémentaire, dit cornet suprême (ou quatrième cornet), au-dessus du cornet supérieur (1,2). Rien donc de bien compliqué à priori. Mais peut-être pas si simple qu’il n’y paraît, car « cette disposition classique ne correspond pas à la réalité dans un grand nombre de cas » (3). La complexité s’accroît proportionnellement à leurs différentes numérotations et au nombre des éponymes désignant, à tort ou à raison, certains d’entre eux.
Deux éponymes sont d’utilisation courante : cornet de Morgagni (Giovanni Battista Morgagni, 1682-1771) pour le cornet supérieur, cornet de Santorini (Giovanni Domenico Santorini, 1681-1737) pour l’inconstant cornet suprême. Page 136 de ses Adversaria anatomica de 1740, Morgagni représente effectivement 3 cornets, mais il les nomme inférieur, supérieur et suprême (4): pas de cornet moyen, car il le nomme supérieur, pas de vrai cornet supérieur, car il le nomme suprême. Or, selon Santorini, le cornet suprême serait — bien que la description qu’il en fait ne soit pas parfaitement claire — une variation anatomique au-dessus du supérieur, donc un quatrième cornet (5).
Mais ceci n’est que le début du casse-tête.
Quelques années plus tard, l’anatomiste français Exupère Joseph Bertin (1712-1781) décrit sur la face inférieure du corps de l’os sphénoïde « deux petits os que j’appelle cornets sphénoïdaux » (6). Sphénoïdaux en anatomie descriptive, bien qu’ethmoïdaux du point de vue embryologique (7). Mais en aucun cas des cornets.
En 1882, l’anatomiste autrichien d’origine hongroise Emil Zuckerkandl (1849-1910) apporte lui aussi sa pierre à l’édifice (8): il décrit un quatrième cornet ethmoïdal localisé au-dessus de l’actuel cornet nasal suprême — donc un cornet de Zuckerkandl au-dessus de celui de Santorini —, tout en précisant que ce quatrième cornet peut s’observer entre celui-ci (au-dessus) et celui de Morgagni (au-dessous) chez 6,7% des enfants (9).
Résumons-nous. Nous avons donc deux cornets ethmoïdaux qui appartiennent bien à l’os ethmoïde et sont effectivement des cornets; un cornet maxillaire qui est bien un cornet, mais n’appartient pas à l’os maxillaire; un cornet suprême qui est le troisième selon Morgagni, mais le quatrième selon Santorini; deux cornets sphénoïdaux qui sont bien des portions de l’os sphénoïde, mais dérivent de l’os ethmoïde et n’ont rien à voir avec des cornets; et un cornet de Zuckerkandl qui ne sait plus s’il se situe au-dessus ou au-dessous du cornet suprême de Santorini.
Du vrai Raymond Devos…
Références
(1) Testut L. (1904) Traité d’anatomie humaine. Paris, Octave Doin, 5e édition, vol. 1, pp. 128 et 131.
(2) Standring S. (Ed.) (2016) Gray’s Anatomy. The Anatomical Basis of Clinical Practice. N.p., Elsevier, 41st edition, pp. 560-561.
(3) Jacques P. (1912) Fosses nasales. In P. Poirier, A. Charpy (Eds) Traité d’anatomie humaine. Paris, Masson et Cie, nouvelle édition, vol. 5, fasc. 2, p. 917.
(4) Morgagni G.B. (1740) Adversaria anatomica sexta. Lugduni Batavorum, Apud Johann Arnoldum Langerak, p. 136 et Tab. II, Fig. III, o, p, q.
(5) Santorini G.D. (1724) Observationes anatomicae. Venetiis, Apud Jo: Baptistam Recurti, pp. 88-90.
(6) Bertin J.E. (1783) Traité d’ostéologie. Paris, Méquignon l’aîné, p. 76.
(7) Rouvière H. (1978) Anatomie humaine. Descriptive, topographique et fonctionnelle. Paris, Masson, vol. 1, 11ème édition. p. 54.
(8) Zuckerkandl E. (1882) Normale und pathologische Anatomie der Nasenhöhle und ihrer pneumatischen Anhänge. Wien, Wilhelm Braumüller.
(9) Rusu M.C., Săndulescu M., Mogoantă C.A., Jianu A.M. (2019) The extremely rare concha of Zuckerkandl reviewed and reported. Romanian Journal of Morphology and Embryology 60 (3): 775-775.
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